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3ème épisode – Economie et bien-être animal

Dans les articles précédents nous avons vu que BEA et gains économiques sont loin d’être incompatibles et ce, à différents échelons de la filière porcine.

Cependant, nous avons également vu que les économistes considèrent le BEA comme un potentiel agent de déséquilibre du marché, en ce sens qu’il modifie la valeur pour le consommateur sans forcément de compensation pour l’éleveur.

Autrement dit, et en termes économiques, le BEA est un bien pour lequel le consommateur ne paye pas… à moins que ?

Dans ce dernier article nous allons voir des solutions possibles envisagées par certains économistes pour tenter de répondre à cette problématique.

1. Les méthodes liées au marché:

Un premier ensemble de solutions consiste à modifier le marché de la viande de porc lui-même, sans intervenir sur l’amont.

Une théorie de l’économie néo-libérale est que le marché est capable de se réguler tout seul, c’est-à-dire qu’un produit disparaît si personne n’en veut, ou au contraire apparaît si les consommateurs le souhaitent, et son prix pourra varier au gré de l’offre et de la demande.

Voyons si et comment cela peut s’appliquer dans notre cas.

  • Le choix du consommateur:

Pour comprendre ce qui suit, il est essentiel de comprendre ce qui motive le choix d’un consommateur :

Le consommateur cherche à maximiser l’utilité de sa consommation.

Pour rappel, l’utilité est la mesure de la satisfaction qu’un consommateur peut retirer de la consommation d’un bien ou d’un service. C’est un concept très large qui regroupe beaucoup de choses, que nous ne développerons pas ici.

Il suffit de retenir que le consommateur cherche à être le plus satisfait de sa consommation, ce qui une fois tous les grands mots théoriques mis à part, semble parfaitement cohérent.

Un deuxième concept clé en économie pour comprendre le choix du consommateur est bien sûr la volonté de payer. Celle-ci détermine dans quelle mesure un consommateur est prêt à payer et éventuellement combien il est prêt à débourser le cas échéant.
Elle peut se mesurer ou s’estimer par des sondages ou des études de marchés.

Une étude réalisée en Irlande du Nord (Burgess, 2005) montre, par exemple, que les consommateurs se déclarent prêt à payer 2,95 Livres de plus pour augmenter le niveau de BEA pour la volaille et 2,10 Livres de plus pour le porc.

L’idée finale de tout ceci est la suivante :

Le consommateur n’achète pas nécessairement le produit le moins cher.
Son achat dépend de sa volonté à payer un bien ou un service qui maximise la satisfaction qu’il tire de sa consommation.

  • La régulation du marché :

Sachant tout ceci, voici quelques méthodes liées au marché qui pourraient résoudre le problème du BEA :

– Laisser faire le marché: cette méthode présente l’avantage d’être simple, mais semble peu réaliste au vu de ce qu’il se passe aujourd’hui dans les rayons de supermarché. Elle est néanmoins proposée par certains économistes.

– Etiquetage des produits qui ont un niveau supérieur de BEA.

– Etiquetage de tous les produits en indiquant le niveau de BEA.

– Création de filières spécifiques par les GMS (type filière qualité Carrefour, filière Lidl etc…)

Ne discutons pas plus du premier point, qui consiste à ne rien faire. Quelques « points de détails » gênant sur la deuxième et troisième méthode :

– La deuxième méthode consiste également à créer un marché de niche. Or nous avons vu que le BEA concerne tous les élevages et donc tous les produits issus de l’élevage. Le problème ne sera pas réglé, simplement dépassé. Un autre point problématique à suivre également, restez avec moi…

– La troisième méthode implique un système de notation globale qui ne fonctionne si, et seulement si, il y a formation de la population sur les enjeux du BEA derrière l’étiquette et si l’étiquetage est clair. Dans le cas contraire, le manque d’information rendra le procédé inefficace dans une vaste majorité de cas. Un dernier point noir en fin d’article, et peut être le plus important de tous…

– La dernière méthode proposée est aujourd’hui considérée comme la plus efficace, en particulier si les filières spécifiques sont encouragées et encadrées par le gouvernement. En l’attente de solution globale, elles sont le premier choix aujourd’hui de la part des filières. Le risque étant évidemment la prolifération des sigles, marques, étiquettes etc… Et donc un manque de clarté.

  • Pourquoi cela ne marche t’il pas ? :

Nous avons vu que les consommateurs se disent prêts à payer, et qu’il est possible de créer des filières différenciées. Or dans les faits, il est bien souvent difficile de valoriser ces filières (cf. poulet de Loué, porc Label Rouge etc…).

Alors que se passe-t-il ?

– Les résultats des études d’opinion ne sont que déclaratives, et il est évident qu’il y a une différence entre ce que les consommateurs déclarent et ce qu’ils font. C’est un problème inhérent aux sciences sociales.

– La volonté de payer et la valeur d’un produit sont deux choses différentes : il est largement possible d’imaginer un système où les consommateurs se disent prêts à payer un supplément qui ne couvre pas tous les coûts engendrés. Le problème n’est donc pas résolu.

– Le manque de connaissance ou le manque de clarté d’un étiquetage pousse les consommateurs à choisir selon d’autres critères, comme le prix par exemple…
Concernant ce dernier point, nous pouvons citer le bon exemple de la filière œufs qui a réussi à créer un système simple, connu de la plupart et clair sur leur produit et à différencier les prix en fonction de cet étiquetage. La filière œuf est cependant beaucoup plus simple à rassembler derrière un objectif commun, et largement plus standardisée que la filière porc…
D’autre éléments peuvent rentrer en conflit avec les systèmes d’étiquetage et nous montrent la difficulté de maîtriser un marché ouvert : la concurrence européenne, la distribution effective des augmentations de prix, la difficulté d’établir un système de notation (restez avec moi sur ce dernier point).

2. Les méthodes non liées au marché:

Il est largement possible d’influencer un marché sans intervenir directement sur les prix ou les produits en direct.

Une petite liste de différentes méthodes proposées par certains économistes pour répondre à la question du qui paye le BEA, en vrac :

– Faire supporter les coûts aux éleveurs. Nous ne commenterons pas.
– Subventions gouvernementales aux agriculteurs pour développer le BEA.
– « Cross-compliance » : soumettre certaines subventions agricoles à des améliorations sur le BEA.
– Interventions d’ONG : simplifie le problème mais les ONGs ont leur agenda propre, et n’ont pas forcément la logistique administrative pour organiser de manière juste le contrôle.
– Subventions et/ou défiscalisations proposées aux consommateurs pour consommer des produits à haut niveau de BEA : aussi surprenant que puisse paraître cette méthode, elle est aujourd’hui très solidement argumentée par nombre d’économistes, et fonctionne sur un certain nombre de produits (secteurs automobiles, soutien humanitaire, fournitures d’énergie…).
– Système similaire au « droit à polluer » : chaque éleveur se voit donner un certain « droit au mal être », et un éleveur très au-dessus du niveau minimal de BEA peut revendre une partie de ce droit à un éleveur qui serait plus juste. Ce système s’autorégule en théorie, mais en réalité il accentue les injustices déjà présentes, car les très bons ou très riches sont largement favorisés et ceux qui auraient besoin de soutien seront encore d’avantage en retard et peuvent être découragés.

Cette liste n’est pas exhaustive et il a été imaginé beaucoup de systèmes de taxes/subventions en tout genre, sans pour l’instant de système transposable à la vie réelle.

C’est que contrairement à la pollution carbonée par exemple, le BEA a une particularité qui rend quasiment infaisable tout ce que nous avons vu pour l’instant.

Bilan: un problème pour les gouverner tous

Toutes ces problématiques d’économistes se retrouvent confrontées à un ultime problème : comment mesurer le bien-être animal, de manière universelle et objective ?

Or cette question est une question de science, et particulièrement d’éthologie, qui n’a pas de réponse aujourd’hui.

Il existe un système fiable (Welfare Assessment Quality ), infaisable en pratique par sa lourdeur : 4 à 6h d’évaluation pour le seul atelier d’engraissement, et évaluation à réaliser par un connaisseur des animaux et de leur comportement habituel.

Beaucoup d’autres audits ont été proposés, et tous sont critiquables à différents niveaux, ou non réalisables par des auditeurs indépendants non experts.

En d’autres termes, il est très difficile d’avancer sur le sujet du BEA en élevage sans le concours des économistes et leur vision globale du marché, qui à leurs tours, ont besoin du concours d’experts et de scientifiques du monde animal.

Le bien-être animal est une problématique unique en son genre, et les solutions qu’il impose seront uniques également par la nécessité de tous les acteurs de travailler en commun vers un objectif commun.

Le risque de ne pas s’en soucier ? Une loi du marché sauvage et dérégulée, dont les injustices ne sont plus à démontrer, ou l’opportunisme d’agenda politique de tous bords, qui utiliseront ce sujet à toutes fins qui leur semblent utiles.