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1er épisode – Economie et Bien Être Animal : les deux faces d’une même pièce ?

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’économie et le bien-être animal (BEA) sont deux sujets d’étude proches, et de nombreux liens peuvent être faits entre les deux disciplines.

Loin de s’opposer, l’économie peut apporter beaucoup à l’application et à l’amélioration du bien-être animal (et humain) à tous les échelons de la filière ; l’inverse est vrai aussi, pour peu que les actions politiques soient menées avec intelligence.

Dans cette série d’articles nous tâcherons de voir comment économie et BEA sont liés aux différents niveaux de la filière, et ce que l’un peut apporter à l’autre.

1°) De quoi parle-t-on exactement ?

L’économie, ou science économique, a pour sujet la gestion minutieuse de ressources limitées.

Ses champs d’application sont très vastes et si son application dans les domaines financiers est évidente, l’économie et ses méthodes ont un intérêt dès qu’il s’agit de gérer des biens ou des valeurs limitées. En d’autres mots, elle permet de maximiser l’usage des ressources et de ce que l’on en tire.

L’économie s’applique donc à toutes les filières productrices de biens, mais également à des éléments non tangibles. L’exemple le plus récent est celui de la « nature » et de sa conservation.
En admettant que la « nature » possède une valeur intrinsèque pour les humains qui y vivent, pour différentes raisons (sources de nourriture, source de bien être psychologique etc…), il est alors possible d’appliquer des raisonnements et des méthodes de la science économique pour prendre les décisions les plus raisonnables quant à sa gestion et sa protection notamment.

Beaucoup d’économistes et de chercheurs en science animale soutiennent que la science économique peut parfaitement servir à l’étude du bien être animal de la même façon, à partir du moment où l’on considère que le BEA possède une valeur.

Ces aspects seront discutés dans d’autres articles, notons ici seulement que :

Les méthodes et outils de décision des sciences économiques peuvent parfaitement s’adapter à l’étude du BEA et peuvent permettre de prendre des décisions à ce sujet, à tous les échelons de la filière.

2°) La première brique dans le mur : l’élevage et l’éleveur.se.

La première et la plus brûlante des questions à l’échelon de l’élevage à ce sujet est la suivante : le bien-être animal est-il incompatible avec le fait de gagner de l’argent ?

Pour répondre à cette question, le modèle le plus simple est proposé par l’économiste John Mc Inerney :

Prenons le temps de l’expliquer :

La verticale donne le niveau de bien-être de l’animal.

L’horizontale donne le niveau de revenu de l’éleveur.se.

En bleu se situe une limite que nous appellerons la limite de « cruauté » communément admise, en dessous de laquelle les revenus s’effondrent. Pas de grandes nouvelles ici : lorsque les animaux sont maltraités, leur productivité s’effondre et l’économie de l’élevage avec.

Entre A et B se situe une zone dans laquelle le BEA monte conjointement avec les revenus. Quelques exemples : les vaccinations, la gestion de l’ambiance et de la ventilation, la socialisation pré-sevrage, la sélection génétique, les investissements divers ayant pour but de réduire les morsures de queues, etc…

Nous sommes quelques lignes à peine dans le sujet et déjà s’effrite l’idée pourtant populaire selon laquelle le BEA s’oppose systématiquement au gain de l’éleveur. Restez jusqu’au bout pour d’autres surprises.

Entre B et D le phénomène est plus pervers : l’amélioration du bien-être animal s’accompagne par une baisse des revenus. Ce peut être par un retour plus faible que les investissements demandés, ou par une perte de productivité des animaux.

Pour être très clair, si je suis au point C et que l’on me demande d’améliorer le niveau de BEA de mon élevage, je perds de l’argent. Ou plutôt de l’argent doit être dépensé.

Un économiste ne dit pas « l’éleveur perd de l’argent » mais bien « qui paye la différence ? », car c’est bien de cela qu’il s’agit, et c’est la question qui sera notre sujet d’occupation par la suite.

Notez qu’à l’heure actuelle cette question n’a pas de réponse claire et définitive, malgré l’intérêt qu’elle soulève à la fois dans le monde de l’économie et dans celui du BEA.

3°) A l’échelon abattoir.

S’il est un membre de la filière qui ne néglige pas les gains amenés par le BEA (ou qui ne devrait pas), il s’agit de l’échelon abattoir.

Aux USA, une étude sur l’ensemble de la filière boucherie estimait les pertes liées aux problèmes de BEA entre 50 et 100 millions de dollars pour les abattoirs. Le sujet fut, suite à cette étude, pris très à cœur par les organismes d’abattages américains.

Au Canada par exemple, les abatteurs ont poussé pour l’adoption d’un texte de loi imposant une amende de 6000 dollars canadiens (4200 € environ) pour le chauffeur à partir de 3 morts camions.

Les sources de pertes liées au BEA sont de deux natures :
– Accidents et mortalités transports.
– Pertes suite à une mauvaise qualité de viande (viande PSE et DFD)
Les facteurs de risques sont pour beaucoup communs et bien connus :
– Porcs nerveux au moment du chargement
– Pas d’aire d’attente
– Mauvaise pratique de déplacement des animaux
– Transport long, rigoureux
– Mauvais design des camions
– Chaleur
– Pas de repos après transport
– Stress des dernières minutes avant l’abattage.

 

L’aiguillon électrique a notamment été définitivement interdit par de nombreux abattoirs américains suite à des études faisant un lien entre son utilisation et la mauvaise qualité des carcasses.

Ces mêmes abattoirs ont investi dans la formation sur le déplacement des animaux pour leur personnel.

 

 

En bilan :

– Économie et bien-être animal sont liés, et le BEA pourra difficilement se passer des outils objectifs des sciences économiques si l’on veut que les bonnes décisions soient prises.
– Le modèle économique nous montre que le BEA n’est pas l’ennemi du gain économique de l’éleveur, et il existe de nombreux exemples sur le terrain.
– N’oublions pas que dans le cas où l’augmentation du BEA n’induit pas une augmentation des gains, la question est « qui paye la différence », et cette question est très complexe.
– Un exemple très concret du lien BEA et économie se situe à l’échelon des abattoirs.

Sources :
The economics of Farm Animal Welfare ; theory, evidence and policy. B.V Ahmadi, D. Moran, R. D’Eath, 2020, CABI.
Improving Animal Welfare : a practical approach, 3rd edition. Temple Grandin.