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2ème épisode – Économie et Bien Être Animal : les deux faces d’une même pièce ?

Dans l’article précédent nous avons vu que dans beaucoup de cas, notamment à l’abattoir, bien-être animal et gain financier ne sont pas incompatibles. Le modèle utilisé impose néanmoins de répondre à une question : dans les cas où l’augmentation de BEA impose une perte financière (pour l’éleveur), qui doit payer la différence ?

Il existe une autre raison pour laquelle le bien-être animal est un sujet étudié par de nombreux économistes, mais pour le comprendre nous devons expliquer quelques notions théoriques.

1°) Le bien-être animal est un bien

En économie, un bien est un produit tangible ou non capable de combler une demande ou un besoin.

Le bien-être animal peut être envisagé comme un bien, notamment dans le contexte d’une demande règlementaire ou d’une demande de lobby activiste, ou encore d’une demande des consommateurs.

Mais ce n’est pas tout.

Les biens peuvent être classés selon leur nature : bien public, bien tutélaire, bien privatif. Voici les définitions :

– Bien public: bien dont la consommation n’empêche personne d’en profiter, et tout le monde peut en profiter. Exemples: l’air, la nature, l’eau (même si le cas de l’eau se complexifie dans le cas de sècheresse).

– Bien tutélaire: bien dont la consommation est encouragée ou découragée par l’État. Les biens tutélaires ont souvent une dimension d’impact sur la société dans son ensemble et vont au-delà d’un bien de satisfaction personnel. Exemple : vaccination, école publique, alcool, tabac.

– Bien privatif: bien qu’il faut payer pour avoir, et une fois consommé les autres ne peuvent l’avoir (dans le cadre du BEA, c’est plutôt que je suis le seul à en profiter car il s’agit de mes critères personnels). Exemple: une pomme
Comment se place le BEA dans ce contexte ?

Ce schéma est tiré du modèle présenté par John McInerney en 2004.

Quelques clés pour le comprendre :

1) L’État fixe un seuil que l’on qualifie de « standard minimum ». En deçà duquel nous pouvons considérer qu’il s’agit de mauvais traitement sur animaux, voire de cruauté. Puisque c’est l’État qui fixe ce seuil par la règlementation, il s’agit d’un bien public.

2) A l’opposé du schéma, certains souhaitent un niveau de BEA très élevé (consommateurs ou éleveurs de filières alternatives). Ces exigences de BEA dépassent largement les niveaux imposés par la règlementation et comprennent souvent des critères personnels. Atteindre ces niveaux implique des investissements personnels (produits premium ou élevages alternatifs), et y arriver apporte de la satisfaction seulement à ceux qui font ces investissements. Dans ce cas, le BEA est un bien privatif.

3) Entre ces deux niveaux, certains économistes considèrent que le BEA est un bien tutélaire : c’est à l’État d’encourager un certain niveau de BEA, en fonction des demandes de la population et des différents acteurs impliqués, des impacts sociétaux et des impacts économiques.

En résumé, la question du BEA dépasse la plupart du temps les intérêts individuels et englobe des questions sociétales plus larges, que ce soit au niveau éthique, économique ou social.
Ceci doit être pris en compte dans les modèles politiques et économiques de gestion du BEA, car ce n’est pas le simple problème des éleveurs.

Une autre façon de comprendre pourquoi la question du BEA dépasse nécessairement l’échelon éleveurs est de discuter de la notion d’externalité.

2°) Externalité : définitions

« L’externalité caractérise le fait qu’un agent économique crée, par son activité, un effet externe en procurant à autrui, sans contrepartie monétaire, une utilité ou un avantage de façon gratuite, ou au contraire une nuisance, un dommage sans compensation. »
Voyons un exemple en lien avec l’agriculture pour mieux comprendre, celui des abeilles.
Lorsque des apiculteurs entretiennent des ruches pour produire du miel, les abeilles pollinisent également les cultures et les plantes environnantes, sans demande ni volonté particulière de l’apiculteur ni des agriculteurs voisins. En d’autres mots, cette pollinisation n’est pas directement liée à la production de miel mais a un impact positif important sur les fermes et les écosystèmes voisins.

L’externalité positive ici est l’effet d’entraînement de la pollinisation par les abeilles. Alors que les apiculteurs se concentrent principalement sur la production de miel pour leur propre bénéfice, l’activité de pollinisation des abeilles contribue à augmenter les rendements et la qualité des fruits, légumes et autres cultures de la région. Les agriculteurs bénéficient de rendements agricoles plus élevés sans payer directement les apiculteurs pour ce service.

A noter qu’une externalité peut être négative, par exemple :

– Pollution de l’air : en causant des problèmes de santé et en diminuant la qualité de vie, la pollution de l’air provoque des nuisances sans compensation (financière ou autre) sur les gens susceptibles d’en souffrir.
– Embouteillages routier : provoque de la pollution et des retards, et influe donc sur les économies sans aucune compensation.

3°) Et le bien-être animal dans tout ça ?

Le BEA est une externalité car les efforts de l’éleveur ont un impact non compensé sur l’intérêt pour le consommateur des produits d’origine animale. En d’autres termes, le fait d’augmenter le BEA des animaux d’élevages améliore l’intérêt pour le consommateur, même s’il consomme un produit venant d’une filière normale non premium. Cet effet est encore plus marqué avec produit premium.
Les efforts de l’éleveur peuvent donc générer du bénéfice pour le distributeur (par exemple) sans qu’il n’y ait de retombée pour l’éleveur.
A l’inverse, un niveau jugé insuffisant de BEA peut impacter toute la filière et la consommation de produit de cette filière, même de ceux dont le niveau de BEA est bon !
Le BEA peut donc en fonction des situations être une externalité positive ou négative.
Or en économie libérale néo-classique, les externalités doivent être corrigées car elles déséquilibrent le marché!

BILAN :

Nous avons vu dans le premier article qu’à l’échelon de l’élevage ou d’autres acteurs des filières (abattoirs, groupements), le BEA peut avoir un impact économique, notamment en provoquant des coûts non compensés qui amènent à la question  » qui doit payer ses coûts supplémentaires ? ».

Nous avons tenté dans cet article de prendre un peu de hauteur et nous avons constaté que même en changeant d’échelle, la prise en compte BEA impose de comprendre ses impacts sur l’ensemble de la société et des chaînes économiques.

La question du bien-être animal dépasse donc largement les frontières d’une exploitation agricole et ne pourra être traitée convenablement et de manière juste pour tous que par son inclusion dans un modèle économique et sociale globale.

L’exigence réglementaire simple et la loi du libre marché sont des solutions partielles qui ne peuvent amener que des déséquilibres sociétaux et économiques.

Dans le prochain article, nous verrons quelques exemples de solutions pour limiter les déséquilibres de marché liés au BEA.

Sources :
Animal Welfare, Economics and Policy, John Mc Inerney, 2004
How can economists help to improve animal welfare? Christensen et al., Animal Welfare, 21(S1): 1-10, 2012
A method for the economic valuation of animal welfare benefits using a single welfare score, Benett et al., Animal Welfare, 21(S1) : 125-130, 2012.