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L’éthologie au secours de l’élevage : penser comme un cochon

Le déplacement des porcs charcutiers ou des truies peut rapidement devenir une corvée, qui amène du stress et fait perdre du temps. Plus l’on perd de temps, plus l’on se stresse et plus on stresse les animaux, ce qui peut être problématique notamment avant le départ à l’abattoir. Je vous propose ici une série d’articles pour revoir ensemble quelques notions permettant de comprendre les sources de blocage lors du déplacement et ainsi de gagner du temps et de la tranquillité lors de cette indispensable manœuvre.

Tous les gens travaillant avec des porcs ont déjà dû faire face à des animaux ayant des réactions étranges, incompréhensibles : un porc charcutier refusant de voir la sortie de la case au chargement, des porcelets faisant subitement demi-tour dans le couloir, une truie qui se bloque dans un coin ou qui devient agressive…

Ces situations amènent rapidement de la frustration, d’autant plus que le facteur temps est souvent de la partie. Difficile de garder son calme dans ces moments-là, mais le plus important reste de prendre du recul et d’essayer de comprendre ce qu’il se passe pour ne pas envenimer la situation.

1. L’homme, un animal pressé

L’homme est différent des autres espèces animales sur un point en particulier : la mesure du temps. L’homme compte le temps qui passe et organise sa journée en fonction de cette constante, ce qui dans nos sociétés, signifie souvent que l’homme est pressé.

Le cochon lui a tout son temps ! Il s’agit de la première source d’incompréhension majeure entre l’éleveur et le cochon.

Insister sur un animal, particulièrement si l’on prend une posture agressive, provoque une dépense d’énergie importante et aboutit au stress de tout le monde, manipulateur et animal. Or le stress doit être évité à tout prix en élevage, particulièrement lors du chargement.

Une étude de 2009 de l’université de l’Illinois (aux État-unis) évalue par exemple la perte directe due aux problèmes de transports (mortalité et animal non abattu) à 41 millions de dollars par an aux Etats-Unis. Ces pertes sont supportées par l’abattoir mais aussi par l’éleveur. Elles ne représentent qu’une partie de tout ce que le stress peut engendrer, car elles ne prennent pas en compte la perte de qualité de la viande par exemple.

Bien que cela soit difficile, il est essentiel de savoir se poser et prendre du recul :

  • Pourquoi l’animal agit ainsi ?
  • Comment faire pour débloquer la situation calmement ?

Les éléments qui suivent vont tenter de vous armer pour défaire ces situations stressantes.

2. Les sens du porc

Je vous renvoie vers l’article écrit précédemment qui contient les informations à savoir pour appréhender la façon dont les porcs perçoivent ce qui les entoure.

Ces informations sont essentielles à connaître et  à maîtriser pour celui qui veut se faciliter la vie dans l’élevage.

    • Curieux mais peureux.

Les porcs sont des animaux omnivores qui composent leurs rations alimentaires en explorant leur milieu. Ils sont donc très motivés à explorer ce milieu dans le but d’y trouver de la nourriture, même quand celle-ci est disponible à volonté.

C’est ce qu’on appelle la curiosité extrinsèque.

Mais les porcs manifestent également de la curiosité dite intrinsèque, c’est-à-dire une curiosité qui ne sert pas d’objectifs particuliers, si ce n’est celui de la découverte de la nouveauté.

Un porc faisant face à de la nouveauté dans son environnement (objet, surfaces, pentes, zone avec une forte différence lumineuse …) va commencer par en avoir peur et s’en éloigner (phénomène appelé néophobie). Cette néophobie dure plus ou moins longtemps en fonction de l’âge et de l’individu, mais chez un porc normal non stressé elle relativement courte.

Une fois cette peur dépassée, la curiosité prendra le dessus et le porc va explorer la nouveauté avec le seul outil à sa disposition, son groin.

Au bilan, le porc a donc deux raisons successives de s’arrêter face à une nouveauté : la peur puis la curiosité. La première est absolue et ainsi forcer un porc à avancer malgré la peur provoque un stress intense. La curiosité peut être outrepassée sans provoquer de stress important.

C’est pourquoi il est primordial lors de déplacement d’animaux de bien dégager toutes les voies empruntées et d’anticiper les lieux où les animaux vont fatalement s’arrêter : pente, rai de lumière, changement de surface…

    • Le facteur social

Le porc est un animal social, c’est-à-dire qu’il forme avec ses congénères des groupes aux structures familiales complexes et aux échanges nombreux et variés.

L’isolement social (le fait de se retrouver seul) est une cause de stress intense qui conduit rapidement le porc vers la panique. Celle-ci est à éviter à tout prix car elle prive l’animal de toute capacité de raisonnement.

Il est possible de se servir de ce point en laissant à un animal isolé la possibilité d’apercevoir des congénères : il s’y dirigera naturellement.

Le deuxième point à connaître est la contagion sociale : les mouvements et les émotions circulent très vite chez le porc. La panique notamment se répand extrêmement vite, et un seul porc paniqué peut rapidement rendre un groupe incontrôlable. Un porc de tête faisant demi-tour va invariablement provoquer le demi-tour de tous ceux qui le suivent…

C’est pourquoi il est beaucoup plus aisé de déplacer les cochons par petits groupes de 10 porcelets et 5-6 charcutiers. En revanche déplacer les truies par paires, plutôt que seules, peut simplifier la démarche si les locaux le permettent.

Illustrations par Perrine NALOVIC

Merci beaucoup à Vincent MULLER pour son aide dans la rédaction de cet article.