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Mélange précoce des porcelets sous la mère : bonne ou mauvaise pratique ? Retour sur un essai terrain.

L’agressivité des porcelets au sevrage peut avoir des conséquences négatives sur la croissance, la prise alimentaire et le bien-être des porcelets. Une méthode simple pour la réduire est de laisser les porcelets sociabiliser sous la mère en créant des ouvertures dans les cloisons entre les cases de maternité. Nous avons réalisé un essai en élevage naisseur-engraisseur de 600 truies pour mesurer la faisabilité et l’impact de cette méthode, en comparant un lot témoin et un lot où les porcelets ont socialisé avec d’autres portées sous la mère.

Le bilan dans cet élevage est très positif avec un gain de GMQ (1kg de plus en fin de nurserie), une meilleure prise alimentaire (1,1kg de premier âge de plus consommé) et une nette diminution des griffures.

Le vieux problème de l’agressivité au sevrage.

L’agressivité des porcs lors d’un mélange est un phénomène connu et rapporté depuis longtemps. Dès 1961 on trouve des articles sur les conséquences de telles agressions et les pertes engendrées (Teague & Grifo, 1961).

Elles sont maintenant bien connues des éleveurs : plaies, abcès, porcelets qui décrochent, mauvaise consommation alimentaire et dans le cas des truies, des combats violents voir mortels.

Diverses solutions ont été essayées dans le passé pour réduire l’agressivité naturelle des porcs, une substance psychotrope (l’amperozide) avait été mise à l’essai en 1974 par exemple (voire Pluskell & Williams, 1974). Diverses supplémentations ont également été essayées avec des résultats plus ou moins prometteurs. Ainsi le lithium est certes efficace mais inutilisable car il provoque vomissements et anorexie. Le tryptophane, un acide aminé, semble montrer des résultats intéressants sans effet secondaire notoire. Mais le problème des supplémentations est leur coût parfois important et le dosage qui semble échapper aux chercheurs pour l’instant.

Rappelons ici que l’agressivité est la réponse des porcs suite à un mélange : elle permet via d’intense combat, l’établissement d’une hiérarchie au sein du groupe.

Une solution éthologique ?

Une solution avancée par certains éthologues est de mélanger les porcelets non pas au sevrage mais dès leur deuxième semaine de vie, lors qu’ils sont encore sous la mère.

En condition naturelle ou semi naturelle, les porcelets quittent le nid à cet âge (deuxième semaine de vie) et socialisent avec les autres porcelets grâce au jeu (Petersen, 1989 ; Stolba & Wood-Gush, 1986).

Des combats peuvent éclater, mais ceux-ci sont censés être plus courts et les blessures provoquées moins sévères car les porcelets sont plus petits (Pitts, 2000).

De plus, il semble que c’est très jeune que les porcelets apprennent, toujours via le jeu, les réponses comportementales qu’ils utiliseront dans leur vie future (Cox & Cooper, 2001 ; Fagan, 1981). Ces réponses leurs permettent de s’adapter aux nouvelles situations, comme un sevrage et un mélange.

Ainsi lors du sevrage, les porcelets qui ont l’occasion de socialiser sous la mère connaissent déjà les réponses à adopter face un changement dans la structure sociale et se montrent moins agressifs que des porcelets qui n’ont jamais connu que leurs frères et sœurs (Chaloupkova, 2007).

A noter également que l’ouverture des cases entre les truies constitue un enrichissement pour les porcelets par l’augmentation de la taille et de la complexité de leur milieu.

Certains auteurs soulignent toutefois que cette méthode n’est pas forcément sans risque. En effet il existe une probabilité d’apparition de tétées croisées, c’est-à-dire que des porcelets vont téter sous d’autres mères que la leur, en chassant ses porcelets au besoin.

Ces tétés croisées ont été rapportées comme dégradant la prise de lait et le GMQ des porcelets (Algers, 1990 ; Pedersen 1998).

Certains rapportent également de l’agressivité de la part des truies envers les porcelets étrangers, certaines truies refusant même d’allaiter tous les porcelets suite au mélange.

La sociabilisation pré-sevrage des porcelets est-elle alors envisageable en élevage moderne (mise bas en case individuelle) ?

Quels sont les impacts sur le comportement et la croissance des porcelets ?

Comment le mettre en place en élevage ?

Mise en place d’un essai.

L’essai décrit dans la suite a été réalisé dans un élevage volontaire de 600 truies naisseur/engraisseur de haut niveau sanitaire dans la Manche (50).

Le protocole est le suivant :

  • Constitution de deux groupes : un témoin (2*5 truies, soit un couloir) et un groupe où des trappes sont présentes dans les cloisons entre les truies (2*5 truies également).
  • Pesée et bouclage individuel des porcelets à la mise bas.
  • Relevé des griffures sur les porcelets avant le mélange.
  • Ouverture des trappes à J5 après mise bas. Installation d’une caméra pour filmer l’activité des porcelets mélangés.
  • Notation des griffures une semaine après le mélange.
  • Sevrage des porcelets : pesée individuelle, notation des griffures et répartition dans la nurserie. Les porcelets mélangés sous la mère occupent 4 cases, soit un côté d’une salle, les témoins occupant les 4 cases en face dans la même salle.
  • Une caméra a également été installée en nurserie, pour filmer une case témoin et une case où les porcelets ont été mélangés sous la mère.
  • Notation des griffures J3 après le sevrage.
  • Pesée en fin de nurserie J12 après le sevrage.

Résultats et discussions.

Le premier résultat est la comparaison des poids moyens des porcelets en fin de nurserie, comme figuré dans le graphe 1 ci-dessous. Les résultats numériques sont repris dans le tableau 1.

Graphe 1 : Comparaison poids finaux mélange vs témoin

 

 

 

 

 

Poids NaissancePoids SevragePoids Final
Mélange1.47.013.3
Témoin1.57.012.3

Comparaison des moyennes des poids mélange vs témoin

Nous avons en fin de nurserie une différence significative des poids (test de Student), avec un kilogramme de plus pour les porcelets qui ont été mélangés sous la mère.

La seconde observation est lorsque l’on s’intéresse à la croissance des porcelets.

Regardons le graphe suivant qui montre les poids finaux en fonction des poids de naissance des porcelets.

Graphe 2 : Poids final en fonction du poids de naissance

 

Il ressort de ce graphe que les croissances semblent plus homogènes dans le groupe mélange. Chez les porcelets témoins, les petits ont tendance à rester plus petits et les plus gros à la naissance ont une très forte croissance. Ce phénomène semble plus nuancé chez les porcelets mélangés avec des meilleures croissances des porcelets plus légers.

Ce résultat, bien qu’intéressant, nécessitent plus d’observations et un nombre plus importants de porcelets pour être validés mathématiquement.

Il est cependant cohérent avec le ressenti de l’éleveur et les observations en élevage d’une part, mais également avec les quantités d’aliment distribuées. En effet, les porcelets témoins ont mangé 534,56 kg d’aliment premier âge, alors que dans le même temps les porcelets qui ont été mélangés ont mangé 645,85 kg du même aliment (données fournies par l’éleveur), soit 1,1 kg de plus environ par porcelet.

Les vidéos réalisées confirment également une meilleure prise alimentaire chez les porcelets mélangés sous la mère, puisqu’ils se mettent à manger quasiment immédiatement et sans interruption. Vous trouverez des exemples de vidéos en cliquant sur le lien suivant : (lien vers vidéo).

Les résultats sont très nets sur les griffures, tant dans le nombre que dans leur sévérité. Ces résultats sont cohérents avec ce qui était attendu et ce que l’on retrouve dans l’immense majorité des études sur le même sujet.

Graphe 3 : Part des porcelets griffés

Graphe 4 : Sévérité des griffures

Légende:
S = Lésions superficielles, traces de griffures sans effraction de l’épiderme, ou cicatrices guéries.
M= Lésions moyennes, griffures avec effraction de l’épiderme sans présence de saignement.
P = lésions profondes, griffures sévères avec saignements.

 

Les vidéos seront analysées au cours du premier semestre, notamment pour réaliser un budget temps des porcelets.

 

Que faut-il en retenir ?

Dans cet élevage, cette méthode simple de mélange des porcelets (des trappes dans les cloisons en maternité), s’est avérée très positive.

En premier et c’est son objectif, sur le comportement et l’agressivité avec une diminution très importante du nombre et de la sévérité des griffures, ainsi que des interactions sociales négatives (données vidéos en cours d’analyse).

En second sur les croissances et l’homogénéité des porcelets, ce qui est loin d’être négligeable, même si certains résultats prometteurs demandent plus de résultats pour être validés.

Les éleveurs se disent très satisfaits avec le mélange et n’ont jamais noté de difficulté particulière avec les truies ou les tétées croisées.

Si vous souhaitez essayer cette méthode, nous recommandons toutefois plusieurs choses :

-attendre au moins une semaine (5 jours minimum), le temps de créer un lien entre la truie et le porcelet, au risque de provoquer de l’agressivité et des tétées croisées.

-conserver les portées mélangées jusqu’au bout. Dans notre cas, 5 portées étaient mélangées en maternité puis étaient réparties en 2 cases en nurserie. En PS et en engraissement, les groupes sont également conservés.

De cette manière, tous les porcelets se connaissent déjà. Ceci peut être difficile dans le cas où l’on trie selon le poids et le sexe, mais nous pensons que c’est une clé de la réussite de cette méthode.

-il n’est pas nécessaire de créer des grandes ouvertures, les porcelets s’accommodent parfaitement de petites trappes. Des petites ouvertures permettent de conserver des zones de refuge pour les porcelets (le long des parois).

Remerciements :

Nous souhaitons remercier tous les éleveurs qui nous ont aidé à la mise en place, au bouclage et aux pesées successives. Merci également pour leur gentillesse et leur accueil chaleureux.